Dior s'approprie-t-il la mode africaine?
Dior a récemment lancé sa collection de croisière 2020 au Maroc en avril dernier. Bien que la maison de couture ait immédiatement reçu des éloges, elle a également suscité la controverse chez certains qui y ont vu un autre exemple de vol culturel et d’appropriation du patrimoine africain.
La collection: des «petites mains» d’afrique
La collection a été créée en collaboration avec des créateurs et industries africains en Côte d’Ivoire et au Maroc. Dior a collaboré avec la société ivoirienne d’impression de pagnes UNIWAX pour proposer de nouvelles conceptions inspirées de l’élément naturel et social africain. Les imprimés wax traditionnellement appliqués au coton en Afrique de l’Ouest ont été ajoutés aux tissus de la célèbre maison de couture. Pathé'O - notre plus célèbre créateur de mode ivoirien, qui s'est fait connaître lorsque Nelson Mandela a adopté ses chemises comme look emblématique, a inclus dans la collection croisière l'une de ses chemises avec un imprimé spécial célébrant l'illustre dirigeant sud-africain. La directrice de création de la collection, Maria Grazia Chiuri, qui a nommé le spectacle de lancement de la collection «Common Ground» (point commun) a également acheté des tissus du Maroc pour finaliser «l’échange mondial culturel» qu’est cette collection.
La controverse: inspiration ou appropriation?
Les médias sociaux ont soulevé un tollé face à «l'inspiration» très proche de la mode et du style de vie africains pour cette collection et des accusations d'appropriation culturelle ont été lancées. La discussion en ligne a mis l'accent sur le fait que les grandes maisons de couture intègrent désormais dans leur conception des tendances basées sur l'héritage africain, avec le soupçon de retirer de la visibilité et des ressources des designers locaux. Il ya seulement un mois que le chausseur Tamara Mellon annonçait sa collaboration avec la marque de vêtements basée au Kenya Zuri pour la création d'une collection de chaussures aux imprimés wax. Depuis quelques années, la tendance est au design et au style africains et les grands noms de la mode veulent en faire partie. Dior et son directeur créatif ont exprimé leur volonté de lancer une collection inspirée de l’Afrique mais qui n’est pas africaine. L’atmosphère et les imprimés peuvent sembler inspirés du wax très apprécié en Afrique subsaharienne et les créateurs africains y sont impliqués, mais l’esthétique finale demeure celle de Dior avec la refonte de ses pièces symboles pour l’ occasion.
Les tissus wax, également connus sous le nom de Kitenge ou Ankara, sont à l’origine des tissus de batik originaires d’Asie, qui sont devenus extrêmement populaires en Afrique lorsqu’ils ont été introduits par les Néerlandais et qui sont maintenant quasi emblématiques du continent. Communément appelés «tissus africains», ils ont même éclipsé les étoffes artisanales locales et traditionnelles et les tissus régionaux. Les consommateurs et les aficionados de ces tissus se sentent très possessifs d'eux et les utilisent comme monnaie au moment de mariages, funérailles ou autres fêtes de famille. Les femmes collectionnent ces complets de tissu et les offrent en cadeau lors de réunions de famille. Ils symbolisent le proverbial tissu social. Il est donc quelque peu ironique de voir qu’un tissu d’origine asiatique qui a été approprié par des Africains soit maintenant au centre d’une controverse sur l’appropriation culturelle lorsque les marques européennes se tournent vers lui. Beaucoup ont souligné la nécessité pour les économies africaines de se recentrer sur le développement des produits locaux originaux et leur promotion pour une représentation plus authentique de l'artisanat africain.
Ces discussions saines sont nécessaires pour amener le design africain à réfléchir sur son identité et à renforcer ses talents locaux afin qu'ils puissent se développer et ne pas avoir peur de présenter leur vision du style au monde entier. Dior reconnaît enfin ces attributs grâce à cette collaboration africaine qui renforce l’Afrique en tant que nouvelle source de croissance et d’inspiration dans le secteur de la mode.
Photos de Dior et Ines Manai